TÉMOIGNAGES

Afin de transmettre au mieux l’effet de l’éthologie sur le cheval, rien de tel que de tester cette méthode soi-même…

Lundi matin, 9h.

Guénaëlle m’a conseillé de venir le matin, vu les grosses chaleurs prévues cette semaine, c’est mieux pour moi comme pour le cheval de travailler tôt. Une fois arrivée, ma monitrice du jour m’explique que c’est sa jument qui va m’apprendre et me montrer ce qu’est l’éthologie. Cavalière depuis mon plus jeune âge je n’appréhende pas spécialement ce moment, bien que je n’ai jamais fait d’éthologie auparavant et surtout avec un cheval que je ne connais pas et qui ne me connait pas. Guénaëlle m’explique que sa jument est une bonne jument « d’école », qu’elle sait faire les choses et qu’elle ne me posera, normalement, aucunes difficultés. Le travail commence dès la préparation du cheval : le pansage. Guénaëlle parle à sa jument, comme elle pourrait parler avec moi ou quelqu’un d’autre, j’en fait de même en sachant très bien qu’un cheval est un animal très expressif qui a besoin de connaitre son interlocuteur avant de lui donner quoi que se soit en retour.

Je me présente à elle, elle s’appelle Uska, c’est une belle jument anglo-arabe qui laisse apercevoir un air malicieux dans ses grand yeux marrons. Je commence à la brosser délicatement pour ne pas la surprendre et pour lui faire comprendre que je ne compte pas m’imposer. Au contraire, je lui propose gentiment de m’aider à accomplir mon reportage en me faisant découvrir sa méthode de travail. Brossage terminé, selle sur le dos, c’est le moment de mettre la bride.

Guénaëlle m’explique comment ses chevaux sont habitués : on passe d’abord le bras au dessus de l’encolure de l’animal et on fait légèrement pression vers le bas, le cheval comprend, baisse la tête et nous devons immédiatement relâcher la pression. Il nous a donné ce qu’on lui demandait, nous n’avons pas besoin de continuer à insister. Ensuite on propose gentiment au cheval d’accepter le mors et d’ouvrir la bouche toujours en arrêtant la demande une fois que le résultat voulu est obtenu. La bride est en place, ma bombe m’attend dans le manège, mes bottes sont à leur place : nous pouvons y aller.

Début de séance

Guénaëlle emmène sa jument dans le manège, toujours en bavardant avec elle, en lui faisant des caresses. Elle commence par me montrer les exercices de base. Une séance commence toujours à pied pour échauffer le cheval et le préparer mentalement au travail et aux demandes que nous allons lui faire. Guénaëlle me montre une première fois, et m’explique la position que je dois avoir a pied et surtout celle que la jument doit avoir. Aucune tension ne doit être ressentie par le cheval par le biais de la longe, le bras du cavalier doit rester rigide (si on laisse tomber son bras, le poids tend la longe et crispe l’animal) tendu vers l’arrière pour que le cheval reste à sa place derrière le meneur. C’est a mon tour d’essayer, je tend bien mon bras, le maintien bien comme il faut en l’air, mais Uska n’a pas l’air de comprendre, et plus j’avance, plus elle accélère et me dépasse. « Tu vois, ça c’est son plus gros défaut, elle veut toujours être devant, elle a du mal à rester à sa place. Elle s’est améliorée, mais il y a encore du travail à faire là-dessus » m’explique Guénaëlle. Le fait qu’elle ne me connaisse pas n’aide pas à la tâche, mais je m’accroche et continue mon exercice. Guénaëlle reprend les rênes et me montre d’autres exercices tout en m’expliquant leur utilité, demander au cheval de plier la tête à droite, puis à gauche tout en respectant la règle de base : quand il cède on lâche la pression et on réitère la demande. Le but est de montrer au cheval ce qu’on attend de lui afin qu’avec une simple tension de rênes il comprenne et nous donne ce que nous demandons de son plein gré, sans opposition et sans conflit. « Va chercher ta bombe ». Ça y est c’est vraiment à mon tour de jouer maintenant.

 

En selle

Gros changement pour moi, je prend place sur un selle spéciale pour le Dressage. Moi qui suis habituée aux selles mixtes/obstacle faites pour toutes disciplines mais un peu plus pour l’obstacle, c’est une drôle de sensation que de s’assoir sur cette selle. Mes jambes sont très descendues maintenues pas de grosses pièces de cuir qui empêchent mes cuisses d’avancer. Mon dos est plus cambré que d’habitude, mes fesses sortent presque de la selle, je dois vraiment avoir une allure un peu ridicule. La jument reste immobile pour me laisser le temps de m’installer et de prendre mes repères. Dès nos premiers pas elle comprend que je suis une grosse débutante et qu’elle va devoir faire preuve de patience. Comme je ne sais pas comment m’y prendre elle comprend aussi qu’elle peut faire abstraction de concentration. Nous commençons à marcher, et là Guénaëlle m’explique globalement que tout ce qu’on m’avait appris au cours de mes quinze années de cavalière n’allait pas me servir aujourd’hui. Le plus gros changement pour moi c’est de ne pas utiliser mes jambes. Tout cavalier dira que faire avancer sa monture, maintenir son allure et son impulsion c’est le travail des jambes. Et bien j’ai appris que non. Quinze années de mensonge donc ? Non, pas vraiment. Évidemment que les jambes servent, mais dans l’éthologie d’Elisabeth de Corbigny que me montre Guénaëlle, ce ne sont qu’un moyen de pression et de conflit supplémentaire pour le cheval, et ce n’est pas du tout l’effet recherché. Nous allons nous servir de nos jambes mais pas du tout de la même manière et beaucoup moins souvent. C’est évidemment un confort supplémentaire pour l’animal et un moyen d’établir un meilleur dialogue avec lui. Guénaëlle m’explique que c’est le poids de mon corps, mes mains et ma détermination qui vont peser dans la balance. Si je sais ce que je veux demander à Uska, elle me le donnera, ou du moins on le négociera toutes les deux. Autre nouveauté pour moi : le mouvement des mains. En équitation « classique » c’est : mains basses et coudes près du corps et là je me retrouve les mains hautes à faire des moulinets en cadence avec la jument. Assez ridicule aussi quand on le voit, mais bizarrement j’y trouve un certain confort et je sens que la jument aussi. Guénaëlle m’explique comment faire bouger les hanches de la jument, seulement les hanches, la tête et les épaules restent droites. Habituellement la jambe du cavalier se recule pour faire pression et c’est avec ça que le cheval va décaler l’arrière de son corps. J’apprend aujourd’hui qu’en tournant mon buste, en regardant les hanches et en pensant très fort à ce que je veux faire que ça marche tout aussi bien, voire bien mieux. Il n’y a pas le rapport de force que je peux retrouver quand je monte dans mon centre équestre. Même sensation pour faire bouger les épaules d’Uska, cette fois ma jambe me sera un peu plus utile mais toujours en cas de force majeure. Ce sont mes mains qui vont vraiment montrer ma demande, ma jambe s’avancera un petit peu et se collera un peu à la jument pour accentuer la demande, une fois que j’ai obtenu une réponse je lâche tout, comme toujours. Avec ces exercices je sens une jument réellement détendue sous ma selle. Détendue oui, mais pas toujours attentive. Ma maladresse de débutante lui murmure peut être qu’elle peut se permettre de ne pas trop faire d’efforts ? Pendant la première demi-heure j’ai souvent besoin de la remettre en place et de capter à nouveau son attention avec ma voix ou mes mains.

 

Rodéo

« Tu vas trotter maintenant »

Oups, nous passons aux choses plus sérieuses… Mais comment trotter sans contracter mes jambes pour lui demander ? « Tu fais de plus grands moulinets avec tes mains et tu penches ton buste en avant et tu attend sa réponse » Je m’exécute. Aucune réponse, j’ai perdu l’attention d’Uska. Après plusieurs essais, quelques appels de langue et un petit « Allez ma grande trotte sois sympa », nous voilà parties. Guénaëlle me demande d’effectuer les mêmes exercices qu’au pas : bouger les hanches puis les épaules. C’est un peu plus difficile au trot puisque je dois retrouver mon équilibre, tourner mon buste tout en continuant de mouliner avec mes mains, ça fait beaucoup de choses à gérer d’un seul coup. Mais on s’en sort pas trop mal, la jument est plus concentrée donc les exercices sont un peu plus faciles. Mais elle doit s’ennuyer. Sans raison particulière la voilà qui prend le galop sans que je le lui demande, elle commence à baisser la tête et faire un petit rodéo. Ruades, sauts de moutons tout est là et moi aussi. Comme on m’avait qu’il ne fallait pas tirer sur les rênes ni donner de coups de talons je ne sais pas trop comment faire pour l’arrêter, au bout de deux ou trois tours de piste je me décide malgré tout à faire comme j’ai toujours fait dans ces cas là et ça a marché. Une fois à l’arrêt Guénaëlle vient vers moi, un peu amusée et demande à sa jument ce qu’il lui arrive avec un petit ton de reproche « Dis-donc Uska ? Qu’est ce qu’il t’arrive là ? Qu’est ce que tu nous fait ? C’est pas normal de faire ça ! Elle n’a rien fait de mal, elle ne t’as pas embêtée que je sache, non mais ! » Tout revient dans l’ordre, ma monitrice me demande si tout va bien, je lui avoue qu’avec une selle normale j’aurai pu tenir mais plus difficilement, la selle de Dressage confortable comme un bon fauteuil m’a bien aidé à garder mon équilibre. Nous reprenons la séance qui, de toute manière touche à sa fin. Uska et moi continuons les mêmes exercices au pas et au trot. Voyant qu’elle avait du mal a rester au trot et que le galop venait assez facilement Guénaëlle me propose de travailler au galop si je me le sens et si je suis à l’aise. Je le sens bien, mais ce n’est pas pour autant que je suis très à l’aise, depuis sa petite folie, je sens très bien que Uska n’est plus vraiment avec moi, mais je persévère et finalement on ne fait pas de trop mauvaises choses. Pied à terre La séance est finie, je remercie ma monture, je lui fais des caresses et je descend. Guénaëlle a l’air contente. « C’est bien, tu as fait des jolies choses, pour une première tu t’es bien débrouillée » Je suis contente, j’ai vraiment passé un bon moment, ça m’a demandé beaucoup de concentration et d’énergie mais je me rend compte que à partir du moment où j’étais à l’aise, détendue et sereine la jument l’étais aussi et elle répondait plus facilement à mes demandes et la négociation était plus simple. Mais après sa petite crise d’énergie j’étais un peu moins concentrée sur ce que je lui demandais du coup, elle se dissipait aussi.

J’ai pu me rendre compte à quel point le cavalier est lié au cheval, notre état d’esprit influe sur ses réactions et sa compréhension. En tant que cavalière je le savais déjà, mais c’est la première fois que je le ressens autant à cheval. J’ai senti la volonté de la jument à répondre à mes demandes quand elles lui convenaient, par moment je devais vraiment négocier avec elle pour qu’elle me réponde. A travers cet exercice j’ai pu vraiment communiquer avec l’animal, et c’est, me semble-t-il, le but de l’éthologie : établir un réel dialogue entre l’humain et le cheval.